(Notes à l’intention de celui ou celle qui rédigera mon éloge funèbre.)
Nous sommes réunis aujourd’hui, loin, si loin dans le futur pour rendre un dernier hommage à Anne Archet, la femme la plus âgée au monde, décédée suite à un orgasme foudroyant lors d’une nuit d’amour torride en compagnie de sa maîtresse — l’arrière-petite-fille de Scarlett Johansson— et ses douze amants muets et bien membrés.
Personne ne savait vraiment quel âge avait Anne Archet. On raconte qu’elle serait née au vingtième siècle ce qui, avouons-le, est tout simplement incroyable. Malgré son âge avancé, elle est restée d’une forme parfaite jusqu’à sa dernière heure. Lorsqu’on la questionnait à ce propos, elle attribuait sa santé et sa jeunesse inaltérable à cette drôle de danse hawaïenne quelle faisait continuellement pour dérider sa famille, ses amis ainsi que les quidams qui attendaient l’autobus au coin de la rue. Tous s’accordent pour dire que c’était la chose la plus comique qu’ils n’avaient jamais vue et personne ne la trouvait stupide ou voulaient se plaindre à la police pour harcèlement en la voyant.
La nouvelle de la mort d’Anne Archet a plongé le monde dans le deuil — un deuil véritable et non le deuil phoney et sarcastique que tout le monde affiche sur Facebook quand une célébrité crève inopinément. Anne était admirée de tous, grands et petits, sauf évidemment par les gens du Saguenay (mais honnêtement, qui se soucie des Saguenéens?) Elle avait un côté sérieux et un côté taquin, mais c’est son côté «normal» qu’elle montrait la plupart du temps.

Anne a commencé sa vie comme un bébé et a lentement et patiemment gravi les échelons jusqu’à ce qu’elle devienne une adulte. Mais même lorsqu’elle eut atteint l’âge de la maturité, elle ne renia jamais ses humbles origines et garda toujours en mémoire l’époque où elle était impuissante, sans défense et incontinente. Philosophe, elle disait toujours « dans la vie, mieux vaut ne pas avoir mal aux ovaires » avec son faux accent kurde qui faisait la joie de tous. Elle avait le rire facile et arrivait à pointer du doigt l’objet de son hilarité encore plus facilement. Altruiste, elle cherchait toujours à aider autrui et cherchait encore au moment de sa mort, puisqu’elle n’avait toujours pas trouvé comment.
Femme d’une grande érudition, sa conversation était si brillante que personne n’osait l’interrompre ou bâiller en sa présence. C’était aussi une femme courageuse et visionnaire; on la comparait souvent à Marie Curie – et pas seulement parce que son mari est mort irradié. Aussi étrange que ça puisse paraître, Anne Archet n’a vendu aucun tableau de son vivant et n’a même jamais tenté d’en peindre un. Certaines découvertes qui comptent parmi les plus importantes de la médecine moderne n’ont pas été remises en question ni sabotées par elle.
Bien qu’elle vivait à Monaco dans un immense manoir célèbre pour ses trappes et ses sorties secrètes, Anne Archet était fière d’être Québécoise. Elle avait toutefois honte d’être un être humain.
Anne était démesurément riche, mais par modestie faisait toujours semblant d’être fauchée, allant jusqu’à emprunter de l’argent à tous les gens de son entourage. Ceux qui lui en ont prêté on eu la surprise de recevoir, après sa mort, de l’or, des bijoux et des casques antigravité. Quant à ceux et celles qui ont refusé de coucher avec elle, ils s’en mordent drôlement les doigts aujourd’hui.
Généreuse même avec ses organes, elle a légué ses yeux à un aveugle et lui a même donné ses lunettes. Quant à son squelette, il a été équipé d’un ressort qui le fait jaillir de sa boîte de rangement et a été remis à une classe de maternelle pour qu’on puisse enseigner l’anatomie aux tout-petits.
Même si elle était une athée indécrottable, nos scientifiques les plus réputés nous ont confirmé grâce à leurs détecteurs électroniques d’âmes qu’Anne Archet est maintenant au paradis. Pas le paradis ordinaire, celui où n’importe quel imbécile peut entrer, mais le paradis spécial et ultra-secret, celui dont même certains anges ignorent l’existence.
Ce qui est tragique, c’est que même si ce qu’Anne Archet disait de son vivant nous semblait weird et malaisant, tout a fini par s’avérer exact. Elle avait raison et nous avions tort; tâchons de ne pas faire la même erreur avec ses clones. Et surtout, respectons ses dernières volontés, ne soyons pas tristes et célébrons joyeusement sa mémoire. Toutefois, tous ceux qui ont l’air trop joyeux seront priés de quitter la salle immédiatement.
En terminant, nous sommes dans le regret de vous annoncer que l’ex d’Anne ne pourra pas être parmi nous aujourd’hui. Elle est morte il y a plusieurs années d’une horrible attaque de fongus plantaires qui l’ont grugée jusqu’à la cervelle, la plongeant dans une longue, douloureuse et humiliante agonie.
Maintenant, écoutons Cyborg Dion qui va nous chanter My Heart Will Go On.