L’amour existe encore

(Version non-expurgée d’un texte initialement paru dans Le Devoir.)

Chaque année je me promets que ce sera la dernière. Je jure devant dieu et les hommes que je ne serai plus jamais le dindon de la farce grotesque de Hallmark, qu’on ne m’y prendra plus à participer à cette arnaque rose fluo qu’est la Saint-Valentin. Et portant, encore une fois, j’ai succombé. Prise de sueurs froides en regardant le calendrier, je me suis arrangée pour avoir un rendez-vous le soir du 14 février. Vous viendrez ensuite me raconter que le libre-arbitre est autre chose qu’une chimère.

J’ai donc réactivé en soupirant mon compte sur Okcupid dans l’espoir un peu fou de me trouver une date pas trop pitoyable, qui s’est présentée en la personne d’un certain Mathieu de Masson-Angers. Ses messages étaient exempts de fautes d’orthographe, alors je me suis dit qu’il méritait une chance. Je l’ai donc laissé choisir le restaurant où il m’attendait, à la date et à l’heure dite, une rose à la main. Sa photo de profil ne mentait pas : il avait la trentaine dégarnie du toupet et bien garnie du bide, le complet d’un correspondant parlementaire et le sourire 3D White. Quant à sa conversation, elle était aussi intéressante qu’une soirée passée à zapper entre des info-pubs et des reprises du Jour du Seigneur. De l’entrée au dessert, il a été pédant, satisfait de lui-même – et à la fin, carrément insupportable.

Alors qu’il finissait de gober sa crème caramel en parlant la bouche pleine, je me suis dit qu’il fallait que je saute de ce navire en perdition. J’ai donc ramassé ce qui me restait de dignité et je me suis levée. Me voyant faire, il a bredouillé :

— Euh… Anne ? Tu…

— Je pars, mais je dois d’abord faire un arrêt au petit coin. Ça te dirait de m’accompagner ?

Il est devenu soudainement pâle comme un drap.

— C’est que… je ne fais jamais l’amour au premier rendez-vous.

— D’accord, mais baiser au dernier, pas d’objections ?

Il était trop tétanisé pour répondre. J’ai donc fait quelque pas en direction des toilettes ; quand je me suis retournée, j’ai vu qu’il laissait des billets sur la table en tentant de camoufler la bosse dans son pantalon. Lorsqu’il a poussé la porte, je retouchais mon rouge à lèvres, penchée au-dessus du lavabo. Il s’est approché, hésitant. Je l’ai attrapé par la cravate et l’ai entraîné dans une cabine. Nous nous sommes embrassés avec empressement et j’ai défait sa ceinture pendant qu’il s’escrimait avec les boutons de mon chemisier. Dès que sa bite s’est pointée de son caleçon, ce fut trop pour lui : il a éjaculé à grands traits en éclaboussant ma jupe.

— Anne je m’excuse, c’était juste trop… euh… tu sais… a-t-il bredouillé, d’un air franchement contrit.

— Ça va, ne t’inquiète pas, c’était une mauvaise idée.

Il s’est rebraguetté à la hâte et a fui sans demander son reste (ou mon numéro de téléphone). Encore une Saint-Valentin qui tournait en poisson d’avril.

* * *

Je suis donc retournée dans mon demi-sous-sol en soupirant, car je savais exactement ce qui m’y attendait.

En ouvrant ma porte, j’ai d’abord aperçu, alanguie sur mon fauteuil préféré, une rousse filiforme à la peau laiteuse constellée de taches de rousseur. Elle avait les cuisses largement écartées et se taquinc8ait le clito avec ma brosse à dents vibrante. Il faudra d’ailleurs que je pense à la remplacer. Juste à côté, un homme incroyablement poilu et obèse portant une cagoule rose en latex se faisait fister jusqu’au milieu de l’avant-bras par un minet au au regard angélique. Sur le divan, une beauté sombre au bord de l’apoplexie allaitait deux barbus rondouillards et bandants qui semblaient enfin avoir trouvé leur bonheur. Le tout dans une pénombre fleurant le fauve et remplie par les cris de ménade des partouzeurs.

Dans la cuisine, il y avait la dame de la bibliothèque qui léchait la fente recouverte de crème fouettée de ma conseillère municipale. C’est bon de constater de visu à quoi servent nos taxes foncières. À côté d’elles, un échalas se branlait en sacrant comme un humoriste de la relève. Préférant ne pas rester au premier rang (pour ne pas me faire arroser), j’ai enjambé tant bien que mal les corps enlacés qui encombraient le couloir pour me rendre jusqu’à la porte entrouverte de ma chambre.

Au son des craquements du lit et des halètements, j’ai su que j’allais surprendre Jessica, mon amoureuse, en pleine séance de pince-mi pince-moi. Je n’ai pas été déçue : elle était couchée sur le dos au sommet d’un monticule d’oreillers et se faisait fourgonner la voie sodomique par le camelot du Devoir. De chaque côté d’elle, le voisin d’en haut et celui d’en face relevaient ses genoux pour faciliter la pénétration. Le visage de Jess était écarlate et luisant se sueur; de sa bouche crispée sortait une série de cris en staccato, entrecoupés de hoquets étouffés. Autour du lit, une demi-douzaine de quidams à poil zieutaient la scène et attendaient sagement leur tour. Ils se polissaient nonchalamment la trique en échangeant propos grivois et épithètes fleuries.

Jess a joui lorsque je me suis arrivée près du lit. Retenue fermement par mes deux voisins, elle s’est tordue de plaisir, le dos voûté, dans une longue plainte hululante.  Elle s’est ensuite effondrée, entraînant avec elle ses camarades de jeu pour former un tas informe de chair collante et repue. Je me suis approchée d’elle et, dégageant de mon index les cheveux humides de son front, je lui ai susurré à l’oreille :

— Allô ma chérie, je suis de retour.

Elle a ouvert les yeux et m’a souri faiblement, puis, après avoir repris son souffle, a annoncé à la ronde :

— Ok tout le monde. Pause pipi !

Les mâles ont un peu ronchonné, mais l’ont quand même aidé à se relever. Elle s’est rendue en claudiquant à la salle de bain où elle m’a fait une bise aussi tendre que parfumée de foutre avant de me demander :

— Alors, mon amour, le grand rendez-vous romantique ? Ça s’est bien passé ?

— Pas trop. Il était ennuyeux comme la pluie et éjaculateur précoce par-dessus le marché.

Elle a fait cette moue boudeuse qui me fait toujours craquer et, toute de miel, m’a dit :

— Ne t’en fais pas, trésor, tu vas finir par le rencontrer, le prince charmant qui t’amènera sur son blanc destrier souper chez ta mère.

Le cœur qui chavire et une larme au coin de l’œil, je l’ai embrassée de nouveau, avant de lui dire :

— Ma chérie, c’est vraiment toi la dernière des romantiques.

* * *

Épilogue :

  1. Plotte
  2. Noune
  3. Cul
  4. Dèche
  5. Foutre
  6. Pénis
  7. Bite
  8. Fourre
  9. Les
  10. Nationalistes
  11. Identitaires
  12. Sont
  13. Des
  14. Connards
  15. Plotte

Publié par Anne Archet

Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.

2 commentaires sur « L’amour existe encore »

  1. Delirium tremens 3

    J’ai péché le moi à la première personne d’avril

    Un ombre dans le pluriel du verbe pleurer à l’imparfait

    En halant le douzième signe vers la faim du mois

    Le soleil a reflété le miracle d’Épinal

    Et dans l’étang s’est enfui l’image inerte

    J’aime votre texte pas de prise de tête l’intrigue c’est le cul

    J’aime

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